Rémi était un œuf tout ce qu’il y avait de plus ordinaire. Assis dans son compartiment spécialement réservé à son genre, il observait ce qui se passait autour de lui dans le réfrigérateur. Il avait deux passions. La première, découvrir sa mission de vie. Il s’était bien posé la question de son origine. Pourtant, il s’était vite lassé des blagues lourdes de ses voisins Mayo et Ketchup concernant qui de la poule ou l’œuf était apparu en premier. Il avait alors orienté son questionnement existentiel sur son destin. Et puis, il y avait Katia. Arrivée en même temps que lui, Katia était de la même espèce et trônait, le teint hâlé, de ses belles courbes ovales, sur le même présentoir que Rémi. On voyait qu’elle avait connu l’air pur. Que sa mère avait mangé de l’herbe fraiche. Il était secrètement amoureux d’elle, sans jamais avoir osé l’aborder.
Alors qu’il se languissait de son amour, la porte du réfrigérateur s’ouvrit soudain, laissant entrer la lumière du jour. Rémi se figea. Allait-il enfin rencontrer son destin ? Quand la main de l’humain le saisit, il se sentit tout excité et fier d’avoir été choisi. Il fut d’abord déposé sur un plan de travail et, à sa grande surprise, rejoint par Katia qui le regardait pour la première fois, un peu apeurée. Il prit son courage à coquille et la rassura. Même dans ses rêves les plus fous, il n’avait jamais imaginé que sa mission de vie s’accomplirait en si belle compagnie…
La main le saisit de nouveau et, après un petit coup qui l’étourdit, le sépara en son jaune d’un côté qui atterrit dans un saladier rouge. Puis, en son blanc de l’autre qui plongea dans un saladier bleu. Ses ainés s’étaient mépris sur la localisation de sa conscience en son jaune. Elle régnait partout en lui. Katia subit le même sort. Il la regarda se diriger vers lui. D’abord fébrile, il sentit monter l’excitation. Tout se passait si vite ! Quand son corps plongea et entra en contact avec lui, il jubila. Il la caressa, se mélangea à elle pour ne former plus qu’un seul Être, en harmonie. Elle sembla apprécier. Quel plaisir, quelle extase ! La main de l’humain continuait son œuvre. Munie d’un appareil électrique, elle plongea dans leurs blancs. Rémi ressentit de drôles de sensations. Secoué, puis entrainé à grande vitesse dans un tourbillon mousseux, il prit peur avant de finalement déployer des endorphines de bonheur. Il finit par monter en neige avec Katia. Avant de se figer dans le saladier, tête en bas.
D’un autre côté, dans le saladier rouge, la main se saisit d’une cuillère en bois pour les mélanger à nouveau. La sensation était légèrement différente en son jaune, mais tout aussi plaisante. La proximité, l’intimité de la fusion avec Katia se délia plus lentement, plus suavement. Il sentit alors une odeur qui lui parvenait d’à côté. Une odeur de chocolat noir accompagné d’un soupçon de lait de coco pour parfumer le chocolat. Son flair fut récompensé quand la main fit glisser le chocolat parfumé à la noix de coco, chaud et fondant. Ils se lièrent et en profitèrent pour s’apprivoiser, car ils ne venaient pas du réfrigérateur et Rémi ne les avait qu’entre aperçus lors d’une brève rencontre dans un chariot, quelques jours plus tôt.
C’est alors qu’il sentit que sa partie blanche entrait en contact avec sa partie jaune pour fusionner, mais dans quelque chose de plus grand, de plus universel, accompagné d’autres invités. Après quelques minutes à remuer, à se lier sous les coups de cuillères, son esprit tournait dans un vertige de bonheur. La main recouvrit le saladier et les replaça au réfrigérateur. Cette expérience les avait tous transformés. Transcendés. Il entendit Mayo et Ketchup, admiratifs, évoquer le délicat nom de mousse au chocolat.
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